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Discours du 3 juillet 2024 à la Carrière
<< Retour liste des actualitésAllocution de Christian Retailleau
« Chers amis, chers camarades,
Je vais tout d’abord remercier, au nom de l’Amicale de Châteaubriant-Voves-Rouillé-Aincourt, le comité « Réveillons la Résistance », la CGT et la Confédération paysanne d’avoir proposé ce rassemblement dans ce haut lieu de la mémoire de la Résistance, et saluer votre présence à toutes et à tous, si nécessaire et si réconfortante en ces jours difficiles.
Chaque année, aux alentours du 22 octobre, des milliers de personnes commémorent le sacrifice des 27 otages fusillés par les nazis, ici-même, à l’endroit où nous nous retrouvons pour affirmer notre refus de voir l’extrême droite s’emparer du pouvoir dans notre pays et confisquer la démocratie.
Si vous le voulez, je vais me permettre de faire un rappel des événements tragiques d’octobre 1941, il y a près de 83 ans maintenant, car pour ne pas oublier, il faut déjà savoir.
L’attentat, le 20 octobre, contre le Feldkommandant Hotz par un groupe de trois jeunes résistants communistes des Bataillons de la jeunesse : Marcel Bourdarias, Gilbert Brustlein et Spartaco Guisco – « trois courageux garçons », a dit le général De Gaulle – est l’un des premiers faits d’armes de la Résistance contre l’occupant nazi. C’est le plus haut gradé allemand tué en France depuis l’armistice.
Des représailles s’ensuivirent : le 22 octobre, 48 otages tombaient sous les balles de la Wehrmacht, 27 à Châteaubriant, 16 au Bêle à Nantes et 5 au Mont Valérien. Et n’oublions pas ceux – ils étaient 9 – qui ont été fusillés le 15 décembre suivant à la Blisière, au fond de la forêt de Juigné, 2 encore le 7 mars au Bêle, puis de nouveau 2 autres le 29 avril, au total 40 internés du camp de Choisel.
En honorant leur mémoire aujourd’hui, c’est à toutes celles et ceux qui, d’une manière ou d’une autre, formèrent la Résistance que nous rendons hommage, quelles que soient leurs convictions philosophiques, politiques ou religieuses, leurs modes d’actions, leur nationalité et qui trop souvent donnèrent leur vie pour que nous vivions dans un monde meilleur.
Qui étaient ces hommes ?
Les plus nombreux étaient des communistes, et notamment des dirigeants, car en choisissant des responsables connus, l’Occupant et Vichy voulaient dissuader d’autres militants de s’engager dans l’action directe et la lutte armée naissante. Plusieurs étaient des élus du peuple, comme le député Charles Michels, le maire de Gennevilliers Jean Grandel, d’autres étaient conseillers généraux ou élus municipaux. Tous déchus de leur mandat. On comptait parmi eux des dirigeants de fédérations syndicales de la CGT comme Jean-Pierre Timbaud. Les deux-tiers étaient des ouvriers, mais il y avait aussi parmi eux des enseignants, des médecins et des jeunes, dont le plus connu est Guy Môquet.
Pour la plupart ils ont été arrêtés lors des grandes rafles d’octobre 1940, organisées par la police de Vichy, et ont été internés administrativement, souvent sans jugement, dans le camp de Choisel après avoir fait le circuit des prisons : Fresnes, Clairvaux, Fontevrault et d’autres.
Le groupe des Nantais fusillés au Bêle et au Mont Valérien comprend, comme Alexandre Fourny, par ailleurs élu municipal SFIO, des animateurs du Comité d’entente des anciens combattants qui organisaient une filière d’évasions vers la zone Sud et l’Angleterre.
S’étaient joints à eux des jeunes catholiques investis dans des activités de renseignement, parmi lesquels se trouve Michel Dabat, qui avait hissé, avec l’aide du jeune Christian de Mondragon, le drapeau tricolore sur la cathédrale de Nantes dans la nuit du 10 au 11 novembre 1940.
Plusieurs des otages fusillés étaient des combattants de la Première Guerre mondiale, sortis meurtris de cette boucherie, dont ils espéraient qu’elle serait la « der des ders ». Certains y ont été distingués de la Croix de guerre, plusieurs comme Jules Vercruysse et Léon Jost étaient de grands blessés.
Qui les a choisis ?
L’ordre est venu de Hitler lui-même, qui avait exigé la promulgation d’un « Code des otages ». Et il est établi que la constitution de la liste est le fruit d’une étroite collaboration entre le commandant militaire en France Otto von Stülpnagel et le ministre de l’Intérieur de Vichy, Pierre Pucheu, qui avait fait préparer préventivement une liste de communistes et les avait isolés dès le 13 octobre dans une baraque spéciale. Granet, Poulmarc’h, Pucheu les connaissait bien, Il faut revenir cinq années en arrière, le Front populaire, avec ses élus comme Charles Michels, ses syndicalistes comme Timbaud, les usines occupées, les 40 heures, les congés payés, les hausses de salaires.
En face, Pucheu, Croix de feu puis doriotiste, banque Worms, Comité des Forges. « Plutôt Hitler que le Front populaire. » C’est la revanche du Comité des Forges. Les fusils de la Wehrmacht ont rayé du monde des vivants ces leaders cégétistes qui ont fait reculer le patronat en 1936. C’est un crime de classe. Pucheu souhaitait que seuls des communistes soient fusillés. Stülpnagel voulait y mêler d’autres tendances et des jeunes pour accroître l’effet de terreur, intimider d’autres mouvements et les dissuader de rejoindre les communistes.
Mais l’assassinat des otages n’a pas eu l’effet dissuasif recherché. Certes, dans l’immédiat, les attentats n’ont pas été populaires. Mais l’horreur de ce massacre de masse a provoqué un effet de sidération. Le mythe de « l’Allemand correct » et celui de Pétain, vainqueur de Verdun, en ont pris un coup.
Les fusillades du 22 octobre ont eu un impact considérable, non seulement dans notre région, mais dans tout le pays et dans le monde.
Les jours suivants, des milliers de personnes se sont recueillies dans la carrière de la Sablière. Le 31 octobre, un garde-à-vous national auquel a appelé le général De Gaulle, a été accompagné de débrayages dans les usines, par exemple à l’arsenal de Brest ou chez Peugeot à Sochaux et ailleurs. Des tracts reproduisant les prises de position de Roosevelt et Churchill ont été largués sur la France par les avions de la R.A.F., le grand écrivain Thomas Mann, dans une célèbre intervention à la BBC, a qualifié les auteurs de l’exécution de Hotz de « jeunes et ardents patriotes qui font entrer la Résistance intérieure dans la guerre ». À partir de documents qui lui ont été transmis dans la clandestinité, Aragon a écrit un texte sobre mais percutant, intitulé Les Martyrs, dont le retentissement a été très important. Recopié, édité en tracts, il a fait « boule de neige ». Lu à Radio-Londres, Radio-Moscou, Radio-Brazzaville, à Boston et à New York, le texte touche au cœur un vaste public.
Les fusillades d’octobre 1941 contribuent au tournant politique de la fin de 1941.
Ainsi, l’année 1942 a connu un développement de l’action, pas seulement dans notre département, et marque le passage de la période de refus, de la résistance avec un petit « r » à la Résistance avec un « R » majuscule, mieux organisée, plus structurée. Les otages fusillés, ceux qui croyaient au ciel, ceux qui n’y croyaient pas – La rose et le réséda – leurs lettres en témoignent, étaient tous animés d’une foi, que ce soit dans la récompense d’un paradis ou dans l’avènement sur terre d’une société heureuse.
Comme l’a dit le philosophe Georges Politzer, « Les barbares voulaient les tuer. Ils les ont rendus immortels ». Parce que leur mort a été un moment dans un combat universel.
Et contrairement au vœu de Stülpnagel, qui cherchait à les diviser, ils ont préfiguré l’unité de la Résistance, laquelle s’est consolidée plus tard avec les Accords du Perreux de réunification syndicale, puis la constitution du Conseil National de la Résistance autour de Jean Moulin et les combats de la Libération.
Les résistants ne cherchaient ni la gloire, ni les larmes. Ils nous ont donné la liberté en héritage. Cela nous oblige, encore plus qu’hier !
Mais il ne s’agit pas seulement de se souvenir. « Le verbe résister doit toujours se conjuguer au présent », disait Lucie Aubrac dans l’appel de plusieurs personnalités marquantes de la Résistance en 2004. Appel adressé aux jeunes générations afin qu’elles réagissent face à la destruction du « socle de conquêtes sociales de la Libération » , et dans lequel ces grands résistants dénonçaient « dans une société pourtant si riche, le repli sur soi, la peur et le mépris de l’autre, le déni de l’intérêt général au bénéfice de quelques particuliers, bref le recul de la démocratie ». Cet appel, lancé à l’occasion du 60e anniversaire du programme du Conseil National de la Résistance, résonne aujourd’hui avec une acuité qui n’a pas faibli.
L’Amicale de Châteaubriant et ses comités se sont engagés depuis longtemps dans un patient mais difficile travail de transmission de la mémoire et des combats de la Résistance, convaincus que « celui qui ne connaît pas son histoire est condamné à la revivre ».
Le Conseil National de la Résistance et son programme sont peu à peu effacés des mémoires et des programmes scolaires. Car comment alors expliquer que ce qui a été possible à la Libération, dans une France détruite et ruinée, ne le serait plus dans un pays qui n’a jamais été aussi riche ?
Le tableau est sombre : les grandes conquêtes de notre modèle social issu du CNR sont méthodiquement attaquées par des gouvernements libéraux et le grand patronat, les atteintes au pluralisme de la presse se multiplient quand 9 milliardaires possèdent la quasi-totalité des médias, les inégalités et la pauvreté explosent, les immigrés sont pourchassés et déplacés, et l’extrême droite devient la première force politique dans la patrie de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen !
Cela, ce n’est pas la société qu’ont voulue les résistants.
Le RN prospère sur cet oubli de l’histoire, sur la désespérance sociale et la peur de l’étranger. Il est fidèle en cela à sa filiation qui va du Front national à Ordre nouveau et au GUD, à tous les mouvements et groupuscules pétainistes et néofascistes qui ont pour idéologie la xénophobie, le racisme, l’antisémitisme et le rejet de l’autre.
Oui, il y a matière à s’indigner, comme le disait Stéphane Hessel, mais s’indigner ne suffit pas.
Face aux grands défis économiques et sociaux, démocratiques, climatiques, il faut agir, s’engager ! « On ne fera pas un monde différent avec des gens indifférents », a dit l’écrivaine indienne Arundhati Roy.
Aujourd’hui comme hier, il faut une insurrection des consciences pour conjurer les périls.
Dans l’immédiat, il faut battre l’extrême droite dans les urnes ; demain, continuer de combattre ses idées, pied à pied.
Portons haut l’héritage de la Résistance, retrouvons l’esprit d’unité et de solidarité qui animait les résistantes et les résistants dans leur lutte pour la liberté, la démocratie sociale et la paix.
Je vous remercie de votre attention. »
C. Retailleau
Comité de Loire-Atlantique
Amicale de Châteaubriant
(seul le prononcé fait foi)