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77e anniversaire de l’exécution de Missak Manouchian
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77e anniversaire de l’exécution de Missak Manouchian
et du groupe de l’Affiche rouge
Le 21 février 1944, Missak Manouchian et 21 de ses camarades tombaient sous les balles allemandes au Mont-Valérien. Olga Bancic, appartenant au groupe, sera décapitée deux mois plus tard à Stuttgart. Le 77e anniversaire de ces événements ne peut, cette année encore, nous laisser indifférents.
À la prison de Fresnes, trois heures avant de mourir, Manouchian écrit à sa femme, Mélinée :
« Je suis sûr que le peuple français et tous les combattants de la Liberté sauront honorer notre mémoire dignement. »
Pour les membres du COMRA, c’est le moment, une nouvelle fois, de respecter ce vœu. Nous pouvons le faire modestement, à notre échelle, simplement par la lecture, la réflexion et le débat d’idées en cette période où toute réunion et commémoration demeurent problématiques à cause de l’épidémie de Covid.
D’Aragon à Ferré
Relisons ou écoutons, par exemple, le poème d’Aragon… « Strophes pour se souvenir », ce sublime et émouvant petit « diamant » de 35 alexandrins, à la fois terrible et plein d’espoir. Écrit onze ans après l’exécution de ces 23 martyrs de la résistance communiste étrangère issus de la MOI (Main-d’œuvre immigrée), Léo Ferré a repris ce poème dans une chanson, L’Affiche rouge, qu’il a magistralement mis en musique et interprétée en 1959.
Aragon s’est inspiré, en partie, de la lettre-testament que Missak Manouchian a écrite à son épouse quelques instants avant son exécution, une lettre à celle qu’il appelait « sa petite orpheline ». Dans ces Strophes…, simples, bouleversantes, étonnantes de justesse et d’acuité, Aragon nous explique tout du combat mené par Manouchian et ses camarades, tout de leur histoire, leurs motivations, leur amour de notre pays, de la liberté et de la justice, leur certitude de la victoire. On y voit aussi l’image misérable et indigne que les nazis ont voulu donner d’eux aux Français. Le poète nous fait saisir l’ambiance du début de l’année 1944 et entrevoir l’apparente indifférence de la population française. Nous saluons l’état d’esprit et le courage admirables des condamnés dans les heures qui précèdent la mort, eux qui n’avaient que faire des pompes et des pleurs. Révélations extraordinaires et émouvantes, Manouchian annonce n’avoir « aucune haine contre le peuple allemand », enfin il souhaite le « bonheur à tous, la paix et la fraternité ».
Les articles de presse, la littérature et les films sur Missak Manouchian et son groupe existent à profusion aujourd’hui. Néanmoins, l’anniversaire de la fusillade des protagonistes de l’Affiche rouge nous donne l’occasion de rappeler sommairement à nos adhérents cet épisode tragique de la Résistance en France.
Etrangers et patriotes
En effet, nous connaissons tous maintenant l’histoire de la MOI, celle de ces étrangers et apatrides arrivés à la fin des années vingt pour vivre et travailler dans le pays libre qu’ils avaient choisi parce qu’ils l’aimaient : la France. Originaires pour beaucoup d’Europe centrale et de l’Est, ceux de la MOI regroupaient tous les rescapés des pogroms, les survivants des génocides, comme celui des Arméniens. Il y avait des antifascistes italiens, des républicains espagnols, des Allemands antinazis, quelques Français de souche. Parmi les Polonais, les Hongrois ou les Arméniens, nombre d’entre eux étaient juifs. Et au pays des droits de l’homme, ils pensaient être en sécurité…
Communistes et antifascistes, certains avaient combattu dans les rangs des Brigades internationales en Espagne. Leur entrée dans la résistance communiste contre l’occupant nazi constituait la suite naturelle de leur lutte et ils donnèrent ainsi naissance, à partir d’avril 1942, à une organisation armée proche du PCF : les FTP-MOI.
Organisés en « détachements » selon leurs nationalités et leurs langues, les groupes, motivés et combatifs, exerçaient surtout leurs activités de harcèlement dans les grandes villes (Paris, Lyon, Marseille, Toulouse…). L’objectif des attentats était d’affaiblir la machine de guerre allemande mais aussi de faire en sorte d’entretenir une insécurité constante chez les occupants, leur « enlever la tranquillité » en ciblant les hauts gradés de la Gestapo, des SS et de la Wehrmacht. Les partisans disent avoir « loupé », faute d’explosifs, un groupe de généraux réunis à l’hôtel Meurisse. Parmi les multiples actions entreprises, la plus retentissante a eu lieu le 28 septembre 1943 : l’élimination de Julius Ritter, colonel SS, responsable en France du Service du travail obligatoire. Malheureusement, une semaine plus tard, 50 otages payaient de leur vie cet attentat.
L’arrestation de Missak
Localisé dès le mois de septembre 1943, Missak Manouchian, responsable militaire de la MOI de la région parisienne, est appréhendé le 16 novembre à la gare d’Evry-Petit-Bourg (S.- &-O.) par les inspecteurs de la BS2 des Renseignements généraux, dirigée par l’inspecteur Barrachin. Il est arrêté en même temps que Joseph Epstein (alias colonel Gilles, responsable FTPF de l’Ile-de-France, qui sera fusillé le 11 avril 1944) avec lequel il avait rendez-vous. Nous mentionnons Joseph Epstein car il est le père de Georges Duffau-Epstein, ami et adhérent de notre association et Président de l’Association pour le Souvenir des Fusillés du Mont- Valérien et de l’Ile-de-France. « Au procès du groupe de l’Affiche rouge, le 19 février, quand Manouchian déclare : ʺVous avez vendu votre conscience et votre âme à l’ennemiʺ, il s’adresse avec mépris à un parterre de gestapistes et de journalistes collaborateurs » (Adam Rayski, Le sang de l’étranger. Les émigrés de la MOI dans la Résistance, 1989).
« La France, c’était le pays des libertés, mais on se battait aussi par antifascisme […] Au fil du temps, le groupe Manouchian est devenu un symbole, un mythe même, grâce au poème d’Aragon », explique Arsène Tchakarian, qui distribuait l’Humanité début 1943 et qui a lutté avec Manouchian.
Celui-ci certifiait à ses compagnons que les FTP allaient passer à un stade supérieur de la lutte, sous l’égide du Gouvernement du général de Gaulle et « que l’union serait faite au sein du Conseil National de la Résistance, avec un programme. Nous devenions les soldats réguliers de l’armée des FFI (Arsène Tchakarian, à Ivry, 23 février 2010).
D’origine arménienne, Missak Manouchian gardait au cœur le douloureux souvenir de ses parents victimes du génocide perpétré contre les Arméniens en 1915, alors qu’il n’avait que 9 ans.
C’était un homme généreux et pacifique, un amoureux de la littérature, un poète ; la lettre d’adieu à sa femme nous montre qu’il était aussi un bon époux. Ne supportant pas la présence des nazis en France auxquels il ne voulait laisser aucun répit, il n’a utilisé la violence que par nécessité. Ses combattants étaient devenus sa famille. Réunis dans un même combat, ces hommes tuaient d’autres hommes mais, en dépit des apparences, étaient du côté de la vie.
Une affiche couleur sang
La très célèbre « Affiche rouge », couleur du sang répandu lors des attentats, imprimée à 15000 exemplaires et placardée dans toutes les grandes villes de France, avait pour objectif de faire peur à la population, à justifier les fusillades et discréditer les auteurs des attentats. Cette opération de propagande, lancée par les nazis après l’exécution des condamnés, met donc en scène des têtes « hirsutes et menaçantes », identifiables à celles de « bandits », de « criminels », de « terroristes ». Mais « l ’Affiche rouge » a produit sur les Français l’effet inverse de celui escompté : elle a élevé ces partisans au rang de martyrs et de héros de la Résistance française communiste.
Oui, ces étrangers, « et nos frères pourtant », ont été pendant l’occupation une part de l’honneur de la France. Ils se sont sacrifiés pour que nous soyons libres. Ils méritent d’être célébrés, ils méritent qu’on ne les oublie pas.
Jean Bélingard pour le COMRA (COmité pour la Mémoire des Résistants au nazisme dans la région Arpajonnaise)
Sources : Musée de la Résistance Nationale, Mont-Valérien, Haut lieu de la mémoire nationale
Pascal Convert, Joseph Epstein, Bon pour la légende, Lettre au fils, 2007, éditions Séguier
TV5 Monde : « 75 ans après l’Affiche rouge, la mort de son dernier survivant, Arsène Tchakarian, vient rappeler l’épopée des FTP-MOI », Pascal Priestley, 2018